KEES VAN DONGEN

 Rotterdam-Montmartre : « Paris, m’a attiré comme un phare« 

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Cornelis Theodorus Marie (dit Kees) Van Dongen est né en 1877  dans un faubourg de Rotterdam. Son père, Johannus Van Dongen, dirige une malterie où Kees travaille à l’âge de douze ans. C’est à seize ans qu’il débute ses études à l’Académie royale des Beaux-Arts de Rotterdam où il suit des cours de dessin d’art industriel et d’architecture. Là-bas il travaille avec J. Striening et J.G. Heyberg et s’intéresse à Rembrandt, Frans Hals et à des peintres de son temps. Animé par des idéaux de gauche et anarchiste, c’est en 1897 qu’il se rend à Paris, ville qui, selon lui, en serait le symbole. Il s’y installera définitivement en 1899 avec sa compagne Guus. Il fait alors la rencontre du critique d’art Fénéon et du peintre néo-impressionniste Maximilien Luce, également proche de la mouvance anarchique.

Van Dongen dessinateur (1898-1904)

Van Dongen a longtemps passé sous silence sa première activité de dessinateur, cherchant à entretenir le mythe d’un succès fulgurant. Pourtant ses premiers pas ont joué un rôle crucial dans son œuvre. A Paris en 1897, Van Dongen découvre dans le quotidien Gil Blas, les illustrations de Théophile-Alexandre Steinlen qui constituent pour lui un véritable choc. Ces images offrent une vue pénétrante de la vie parisienne, et lui font mesurer l’impact social du dessin, entre dénonciation et caricature. De retour à Rotterdam, il met cette expérience à profit dans ses dessins du quartier chaud de la ville, le Zandstraat.

En 1903-1904, il exécute  une série de dessins  « à l’encre de chine que l’aquarelle bariole violemment ou colorie de nuances tendres » , selon Félix Fénéon, qui s’attachent toujours à la représentation de la « Femme » mais dans des occupations intimes et familières où interviennent les « plaisirs sensuels ».  Dans ces modèles à la toilette, peut-être inspirées de Degas, couleur et lumière jouent un rôle essentiel. Ces dessins ont acquis une aisance expressive et fougueuse, une ampleur remarquable notée par Fénéon : « son pinceau trace avec un sens décoratif qui enchante et une incomparable décision la ligneleur mouvement s’accuse « .

Cette évolution se retrouve non seulement dans le style, mais aussi dans les sujets. Le thème de la rue s’efface devant celui des spectacles populaires, la critique sociale laisse la place à l’évocation de la sensualité. Le cirque, la fête foraine, qui apparaissent parmi ses thèmes récurrents, s’inscrivent dans un registre  » moderne « . C’est à ce moment là, au printemps-été 1903, qu’il revient à la peinture. En 1904, il travaille comme homme de force ou comparse pour le cirque ambulant  » Chez Marseille  » et y puise ses sujets. Il s’inspire quelque peu du travail de Maximilien Luce dont il est l’ami et qui l’aide, sur le plan financier, à participer en février, pour la première fois, au Salon des Indépendants où il expose six toiles.

Un fauve au Bateau Lavoir (1905-1906)

Durant l’automne 1904, il peint une série de carrousels, esquisses à l’encre et à l’aquarelle, inspirée par « les tourbillons de lumière provenant de la lumière blanche » des carrousels à vapeur dont il ose « rendre cette bacchanale de lumière et de vie dans sa brutalité et sa violence » comme le remarque Tom Schilperoort. (Il en exposera deux exemples au Salon des Indépendants de 1905.). Van Dongen a  alors changé sa façon de peindre et repris la technique du néo- impressionnisme et divisionnisme  héritée de Paul Signac. Il passe l’été à Fleury-en-Bière, où il peint des champs de chaume déserts, des récoltes et des meules de foin, avec des ciels bas ponctués de nuages blancs.

Ces tableaux sont exposés chez Druet la même année. Dans l’exposition, Le manège de cochons est largement salué par la presse : « Rien de plus neuf, ni de plus personnel que ses manèges de cochons » y pourra-t-on lire.

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Son goût et son talent de la couleur sont d’emblée remarqués , bien que Van Dongen ne soit pas encore associé aux peintres fauves.Lors de la première exposition que lui consacre la galerie Vollard, il expose quelques peintures de Paris et quelques marines qu’il a peintes lors de ses virées à Deauville. C’est l’utilisation de la couleur, toutes pures, franches et traduisant une certaine immédiateté de la réalisation qui séduit.

La critique note d’ailleurs « les touches juxtaposées en retombées de feu d’artifice les nuées rugueuses et papillotantes ».  Sa palette est devenue plus vive. L’audace de son « écriture spontanée et directe, comme imposée par le mouvement et l’expression par la couleur » favorise son passage à la couleur pure qui l’amènera au fauvisme. Ainsi, pour Apollinaire, « ce coloriste a le premier tiré de l’éclairage électrique un éclat aigu et l’a ajouté aux nuances. Il en résulte une ivresse, un éblouissement, une vibration et la couleur conservant une individualité extraordinaire se pâme, s’exalte, plane, pâlit, s’évanouit sans que l’assombrisse jamais l’idée seule de l’ombre ». Durant toute cette période, Kees est fortement intéressé par le primitivisme, attaché à la simplification de la ligne, il est aussi marqué par l’œuvre de Van Gogh dont une rétrospective a eu lieu au printemps 1905 au salon des Indépendants. En 1906, il loue un atelier au Bateau lavoir sans déménager de son logement de l’impasse Girardon et fait la connaissance de Picasso dont il devient l’ami. La compagne de ce dernier, Fernande Olivier, sera par la suite fréquemment son modèle.

Il rencontre également Derain, Vlaminck, Max Jacob, André Salmon, Rolland Dorgelès Avec Picasso, il fréquente le cirque Médrano. La série d’études, de dessins et de toiles qu’il consacre au Moulin de la Galette, encore centrée sur l’intensité de la représentation des lustres électriques « soleils brûlants de couleurs », marque l’apogée et les derniers feux de la période où sa technique dérive encore du néo-impressionnisme alors que sa palette devient fauve.

Il expose au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, dans les salles réservées à l’avant-garde fauve, des œuvres décrites comme  » de prodigieuses et énigmatiques débauches de couleur ».  Camille Mauclair écrira quant à lui qu' »un pot de peinture (avait été) jeté à la figure du public ». Quoi qu’il en soit,  Van Dongen commence à pouvoir vivre de sa peinture.

Un « nègre blanc » (1907-1911)

Les portraits de Van Dongen et ses nus expressifs peuvent se rapprocher d’une certaine forme de primitivisme. A l’occasion d’une exposition chez Bernheim-Jeune, Van Dongen écrit à Marius Ary Leblond, une lettre dans laquelle il se présente comme un «nègre blanc», soulignant ainsi le caractère à la fois primitif et septentrional de son travail. Au cours de cette période, les femmes, comme Les Lutteuses de Tabarin aux corps emmaillotés de rose, ont des formes généreuses et musculeuses qui rappellent Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, leurs contemporaines.

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Le succès de Van Dongen est immédiat. Il est le lien entre les fauves et les expressionnistes allemands comme Max Pechstein et Alexei von Jawlensky. En 1908 il s’installe dans un nouvel atelier, 6 rue Saulnier, près des Folies Bergères où il trouve de nouvelles sources d’inspiration. Invité par Max Peschtein et les peintres de Die Brücke qui reconnaissent en lui un tempérament expressionniste, il expose à Dresde. Ses modèles préférés sont alors Fernande Olivier -dont les yeux en amande caractériseront désormais ses portraits féminins – Nini  » marcheuse sur le plateau  » aux Folies Bergères et la danseuse Anita.

Il commence à être reconnu internationalement. Sa prédilection pour la figure féminine, souvent représentée nue, dans une posture provocante exaltant une troublante sensualité, s’affirme. Il excelle dans la puissance d’évocation sexuelle de ses sujets féminins, danseuses ou demi-mondaines. Il devient, comme l’écrit Elie Faure « le poète bestial des bijoux et des fards et de la chair profonde où la mort et la cruauté veillent sous l’ombre des aisselles et les blessures du carmin ». Ses recherches chromatiques s’expriment aussi au travers du maquillage comme le souligne Vauxcelles : « Coloriste ardent, il recherche et décompose les harmonies de la peau rosée où il découvre les acidités vertes, des lilas vineux, des bleuités électriques ».

Si les halos colorés cernant les portraits ont tendance  disparaître vers 1910, si la fréquence de la représentation des châles espagnols, décorés d’arabesques, augmente en même temps que Van Dongen affirme une tendance décorative plus marquée, il reste cependant fauve, au moins jusqu’à la suite de son voyage en Egypte en mars 1913, où les éblouissantes lumières méditerranéennes relancent son fauvisme.

Les voyages au Maroc et en Espagne : l’Orient réinventé (1910- 1911)

En juin 1910, Van Dongen se rend en Espagne et au Maroc. Avec la découverte de la lumière particulière de la Méditerranée, son registre s’est modifié. La peau cuivrée de ses modèles féminins, les cascades de bijoux étincelants, les châles éclatants, parent de couleurs chatoyantes une silhouette qui apparaît simplifiée, stylisée, assouplie. Ses paysages sont parmi les plus remarquables avec ceux de Paris et d’Egypte. Et sa palette, outre les teintes vives, la chaleur de ses ocres jaunes et orangés, décline les nuances de blancs, de noirs et de gris. Européen ou exotique à son gré, Van Dongen a un sentiment personnel et violent de l’orientalisme.

A Séville, il peint plusieurs portraits de jeunes femmes. Dans Joaquina ou Andalucia, il montre un intérêt particulier pour les châles élaborés et colorés. A travers le dessin de fils aux couleurs vives sur des fonds plus clairs, ces drapés représentent à la fois des tissus, et la peinture. Il porte une attention particulière aux poses, aux doigts enroulés autour de castagnettes, aux mouvements de danse. Ces œuvres rencontrent un succès immédiat. A Tanger, il peint des études de femmes et de mendiants comme les Marchandes d’herbe et d’amour. Il se concentre sur les bijoux des femmes, leurs yeux cernés de khôl. Fruit d’une attirance pour l’exotisme, l’Orient de Van Dongen est fait de couleurs et de sensualité.

« J’aurais voulu vivre comme un oriental, garder toutes les femmes que j’ai eues… avec une favorite« .

De son voyage en Egypte, il conserve l’intensité des couleurs de ce pays de soleil qui réactive son fauvisme .  « Il simplifie, se sert de cernes puissants et fait jouer librement les couleurs en accordant une place importante au rouge », note Jean Mélas Kyriazi. Durant l’été, premier séjour de la famille de Van Dongen à Deauville où il retournera ensuite régulièrement. Au Salon d’Automne, une de ses œuvres cause un scandale retentissant Le Tableau ou Châle espagnol, ou La Femme aux pigeons, ou Le mendiant d’amour est un grand nu provocant de sa femme, Guus, drapée dans un châle, jugé « obscène » et donc retiré par la police, au grand intérêt de la presse qui contribue, à cette occasion, à la célébrité de Van Dongen .

Van Dongen s’installe ensuite à Montparnasse, rendez-vous cosmopolite des avant-gardes dont il est l’un des principaux animateurs. Il organise de nombreuses fêtes dans son atelier décoré comme un palais oriental. A cette époque, son cercle s’est agrandi. Il fréquente à la fois des écrivains, des chroniqueurs, des antiquaires, des modèles, et des artistes. Sa rencontre avec  La Marquise Luisa Casati lui ouvre les portes du monde, initiant une période qu’il nomme « l’époque cocktail » . Durant cette « période duchesse » selon Max Jacob, comme beaucoup d’autres artistes d’avant-garde qui y recrutent leurs mécènes ou collectionneurs, il fraie avec la haute société et ses extravagantes représentantes, avec le milieu de la mode et des couturiers tels Poiret ou la sœur de celui-ci, Nicole Groult.

 Guerre et fêtes

Le début de l’année 1914 le voit organiser dans son appartement un bal costumé auquel assistent Paul Poiret, La Fresnaye, Matisse, Marquet et le  » Tout Paris à la page », dans des décors extravagants. Il accueille ses invités, le « torse nu avec un large pantalon de couleur tendre, les cheveux et la barbe parsemés de petits nœuds de ruban rose » ainsi que le décrit André Warnod .Son goût pour les soirées costumées est d’ailleurs immortalisé par son autoportrait en Neptune daté de 1922. Quel chemin parcouru depuis son premier autoportrait (en bleu) qu’il avait réalisé en 1895.

Il expose aux Indépendants, puis, en juillet, à Berlin, à la galerie Cassirer. Guus et Dolly partent en vacances en Hollande avant la déclaration de la guerre de 14 qui empêche Van Dongen de les y retrouver. Resté en France, néerlandais et antimilitariste, il ne participe pas au conflit. Il va désormais essentiellement se consacrer aux portraits. Si, jusqu’en 1914, il n’en a réalisé que peu, c’est dans l’entre-deux guerres qu’il devient le portraitiste à la mode.

« L’extériorisation de mes désirs s’inscrit en images. J’aime ce qui brille, les pierres précieuses qui étincellent, les étoffes qui chatoient, les belles femmes qui inspirent le désir charnel La peinture me donne une possession plus complète de tout cela,car ce que je peins est souvent la réalisation obsédante d’un rêve ou d’une hantise… » déclare-t-il.

Dans ces portraits féminins, il s’attache désormais, en priorité, à générer non plus la force profonde et instinctive du désir mais les charmes plus superficiels de l’esthétisme :« Le secret de mon succès ? Peindre les femmes plus minces et leurs bijoux plus gros » disait d’ailleurs Van Dongen.

En 1916, Son contrat avec la galerie Bernheim-Jeune est rompu. Il rencontre Jasmy Jacob, avec laquelle il noue une liaison qui durera jusqu’en 1927. Intelligente, belle, volontaire, ambitieuse, issue des milieux de la mode, elle partage avec Van Dongen le goût d’un mode de vie très mondain qui précipite l’évolution stylistique de l’artiste et décuple son appétit de vivre les plaisirs que son succès de peintre à la mode lui apporte. En 1917, le couple s’installe dans un hôtel particulier du bois de Boulogne, au 29 de la Villa Saïd. La séparation de Van Dongen et de Guus, de retour de Hollande avec Dolly à la fin de la guerre, est consommée. Il expose en mars à la Galerie d’Antin.

En mars 1918 une exposition particulière -dont le catalogue est préfacé par Apollinaire- lui est consacrée chez Paul Guillaume. Les commandes abondent, de portraits essentiellement ou, pour Paul Poiret , la réalisation de Quiétude et qui semble s’inscrire dans une série de compositions décoratives de nus au dessin très stylisé, peints en aplats de tons primaires, peut être inspirés des sculptures égyptiennes qu’il vient de découvrir.

En effet, Quiétude rappelle notamment « Le couple » signé « le peintre », évoquant, en deux corps nus, bleus et rouges, une déesse égyptienne et son compagnon. Délicatement unis par les auriculaires, ils se présentent de manière frontale et plate sur un fond uni marron orné d’une colombe blanche. Notre oeil est attiré par les lacets bleus des chaussons décalés sur de menus pieds rouges, par la fine lumière blanche posée sur le bout des doigts de la femme, par les yeux noirs en amande et la simplicité du tracé de la chevelure, des sexes et des mamelons. Mais cette technique d’aplat n’est pas sans rappeler « Mademoiselle miroir, mademoiselle collier et mademoiselle sopha ». Trois corps orangés qui, sur un fond rouge, forment trois lettres.

En 1919, il expose à Berlin chez Cassirer, à Hambourg et Düsseldorf, et au Salon d’Automne. Puis en 1920, aux Indépendants et au Salon d’Automne, mais à partir de septembre, il décide de n’exposer que dans son propre atelier, à la Villa Saïd. « Deauville 1920 » est la première concrétisation de cette volonté.

Il fait le portrait de Charles Rappoport, et, par son intermédiaire, rencontre Anatole France. Ce portrait fait scandale lors de sa présentation à la Nationale en 1921, car cet écrivain, alors considéré comme gloire nationale, y est représenté comme un vieillard sénile à moitié endormi. Pourtant Artaud soulignera la particularité et la qualité de ce tableau qui, selon lui, se détache de l’oeuvre grand public de Van Dongen. Il écrit : « Van Dongen est en train de perdre aux yeux des artistes ce qu’il gagne aux yeux du demi-monde, ou peut-être même du monde en plein, je n’ai pas très bien su distinguer, d’ailleurs c’est la même chose. Son portrait de Rappoport seul possède quelques-unes des qualités par lesquelles ce peintre valut ».

d1daab60560cb6be37be8faecd855abe En mars, il expose chez Bernheim. Il se rend à Venise avec le critique Michel Georges-Michel. La marquise Casati qu’il accompagne, le fait bénéficier de ses relations haut placées. Il peint une vingtaine d’œuvres, reflétant la grâce de la ville et de ses sites réputés, habités par des femmes élégantes dont la silhouette élancée s’inscrit dans son nouveau style de représentation féminine. Elles sont exposées chez Bernheim, en décembre .

Un nouveau scandale éclate au Salon d’automne dans lequel une de ses toiles aurait été refusée. En fait, il en a envoyé cinq au lieu des deux prévues par le règlement, mais Van Dongen sait jouer des scandales qu’il suscite en s’attirant ainsi le soutien d’un public dont il est de plus en plus apprécié. Il achète une maison de campagne et divorce de Guus.

En 1922, il déménage à nouveau et s’installe dans un luxueux hôtel particulier, au 5 rue Juliette Lamber, près de la place Wagram. Un grand portrait de Jasmy trône dans l’entrée, et tous les tableaux sont signés par le maître des lieux. Ils font partie intégrante de la pièce car Van Dongen n’aime pas «les tableaux que l’on emporte sous le bras». Un espace est consacré en permanence à l’exposition des œuvres du peintre. C’est là qu’il reçoit le Tout-Paris, évoquant même «l’époque des cocktails», au sens des fêtes mais aussi des mélanges qui s’y produisent.

C’est par la suite qu’il se consacre essentiellement, au rôle de portraitiste officiel de cette partie du 20ème siècle, en accord avec son goût pour les plaisirs qu’apporte l’argent, les fêtes mondaines dont il est devenu « l’observateur impertinent » . Il écrit : »Je veux bien être, comme on le dit, le peintre de l’élégance et de la mode ! Mais je ne suis pas, comme beaucoup sont tentés de le croire, victime du snobisme, du luxe, du monde. Ca m’amuse. C’est tout ! ». Il précise même que selon lui : «Les bourgeoises sont sottes et insignifiantes, les nouveaux riches sont ennuyeux, mais les peintures faites d’après eux sont des chefs-d’œuvre.»

Pourtant, plus que des portraits de bourgeoises, plus qu’un témoignage de la mode et de l’esprit de son époque, les oeuvres de Van Dongen dotent et teintent leurs sujets d’une dimension à la fois mythologique et paradoxalment commerciale. La femme y retrouve certes cet aura mystique, sacrée à de celle louée par Baudelaire :  La femme est bien dans son droit, et même accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts, les moyens de s’élever au dessus de la nature pour mieux subjuguer les coeurs et frapper les esprits […]   Quant au noir artificiel qui cerne l’oeil et au rouge qui marque la partie supérieure de la joue, bien que l’usage en soit tiré du même principe, du besoin de surpasser la nature, le résultat est fait pour satisfaire à un besoin opposé. Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive ; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’oeil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ; le rouge qui enflamme la pommette, augmente encore la clarté de la prunelle et ajoute à un beau visage la passion mystérieuse de la prêtresse», mais elle est aussi celle d’une silhouette tant esthétisée qu’elle en devient creuse, vaine et publicitaire .

Pour Cocteau : « Van Dongen transcende les modes et les hausse jusqu’à la mythologie » ou ce que concluait Louis Chaumeil en 1958, lorsqu’il précisait que l’univers de Van Dongen était celui  de «la vie ardente avec la femme pour divinité ».

Les années folles lui réussissent. Sans cesse sollicité pour de nombreux portraits, il réalise en 1926 les illustrations du roman de Victor Margueritte La Garçonne. De ce personnage aux cheveux courts, aux grands yeux en amande cernés de noir, au corps mince et élancé, il fera l’archétype de la femme de cette période 1925. Cette même année, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur . En 1927, il publie sa biographie par le truchement de celle de Rembrandt. L’exposition rétrospective organisée par le Stedelijk Museum d’Amsterdam est pour lui une consécration internationale . Il rompt avec Jasmy Jacob . Nouveau voyage en Egypte en 1928. Il y peint quelques portraits et visite la Haute-Egypte, où il réalise des paysages du Nil, exposés en novembre dans son atelier.

En 1929, il est naturalisé Français. Avec le Krach de Wall Street , ses commandes se raréfient, mais il choisit de ne pas brader son talent et cesse de vendre. Jasmy Jacob vend en 1932 la rue Juliette Lamber . Van Dongen s’installe à Garches, jusqu’en 1934 où il aménage dans un immense atelier, rue de Courcelles. Les affaires reprennent et il reçoit à nouveau de nombreuses commandes dont celles du Roi des Belges, de l’Aga Khan et de stars telles Arletty, ou Sacha Guitry .

Un grand nombre d’expositions rétrospectives confirment cette embellie. Sa vie, elle aussi prend un tour nouveau. En 1938, il rencontre Marie Claire qu’il épousera en 1953. C’est en 1940 que naît leur fils, Jean-Marie. Alors que Paris est occupé, il participe au malheureux voyage en Allemagne nazie organisé par Arno Becker avec d’autres artistes français tels Derain, Vlaminck, Dunoyer de Segonzac qui lui sera longtemps reproché. A partir de 1949, il vit l’hiver à Monaco, dans la villa « le Bateau-lavoir » qu’il vient d’acheter, avec Marie-claire et son fils, et l’été partage son temps entre Paris et Deauville. Un grand nombre d’expositions et de rétrospectives lui sont internationalement consacrées, mais le milieu artistique français le boycotte, jusqu’en 1959 et sa participation à l’exposition « le fauvisme français et les débuts de l’expressionnisme » . Il vit désormais toute l’année au Bateau Lavoir de Monaco. En 1967 , pour ses 90 ans, une rétrospective de son œuvre est présentée en octobre au Musée d’Art Moderne de Paris puis en décembre à Rotterdam. Il meurt le 28 mai 1968, à Monaco.

« Il a été l’histographe de tout le dévergondage cynique d’après la victoire… Portraits de girls, de misses, de mondaines hystériques, d’étrangères insatisfaites, d’exotiques désaxées » disait Vlaminck, mais pourtant, combien il les a aimé malgré tout, ces femmes, ces années, cette vie vibrante de tous ses désirs et plaisirs que sa peinture, aujourd’hui encore, nous partager.  Et Van Dongen écrivait : « Moi je suis comme une vache. Je regarde ; Je peins comme je vois ». Peintre-Vache?   Femme-chimère ? L’oeuvre de Van Dongen, tout en oxymore, se déclinant comme une séries de portraits balzaciens, est à la fois faite de dérision et de beauté. Elle se teinte d’une aspiration profonde vers un idéal qui prévaut par sa brisure même.

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