De Zurbarán à Rothko Collection Alicia Koplowitz – Grupo Omega Capital- Musée Jacquemart André


  • L’Espagne des siècles d’Or : Goya, Zurbaran

La première salle réunit des œuvres de certains des plus grands artistes espagnols des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Elles évoquent chacune à leur façon l’essence d’une culture espagnole singulière et souvent méconnue.

L’exposition s’ouvre sur la délicate Vierge au chapeau avec l’Enfant, dite Vierge gitane de Luis de Morales, el Divino (1509–1586). A cette image délicate répond la Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste de Francisco de Zurbaràn (1598–1664), qui exprime elle aussi l’intimité de la Mère avec l’Enfant, dans un geste tout en retenue et en profondeur.

C’est ensuite le Portrait de Doña Ana de Velasco y Giròn, duchesse de Bragance qui nous interpelle. Dans ce magnifique portrait de cour, commandé par le duc de Friàs avant le mariage de salle, Juan Pantoja de la Cruz (1553–1608), peintre officiel de Philippe II et Philippe III, exprime toute sa virtuosité. L’exceptionnelle maîtrise dans le rendu du costume et plus particulièrement de la collerette de dentelle rappelle l’importance politique et sociale du modèle, consciente de son statut et du noble destin que la vie lui offre à travers son prochain mariage. Mais l’attention particulière portée à l’expression du visage révèle également la personnalité de cette belle jeune femme et des émotions qui l’assaillent au moment de prendre congé de sa famille. Parmi tous les portraits exécutés au cours du Siècle d’or espagnol, celui-ci est sans doute l’un des plus émouvants. La collection abrite également le petit Portrait de la comtesse de Harolle du marquis de Santa Cruz, à la veille de son mariage. Dans la fragilité et la sensibilité de cette jeune femme, on imagine une vie noble et joyeuse, mais il n’en est rien, car elle allait mourir l’année qui suivit l’exécution de cette peinture.

 

Les œuvres de Goya représentent quant à elles plusieurs facettes de l’Espagne des Lumières et constituent l’un des plus beaux ensembles de la collection Alicia Koplowitz – Grupo Omega Capital . Le tableau Hercule et Omphale est une œuvre à part dans la production de l’artiste et symbolise la soumission de la force de l’homme face à la beauté et l’intelligence féminines. L’Attaque de la diligence est une œuvre surprenante : dans un paysage élégant, à la française, dans lequel le spectateur espère trouver une scène galante dans le goût de l’époque, il découvre au contraire une scène terrible et violente, qui le laisse à la fois surpris et admiratif.

« Goya est toujours un grand artiste, souvent effrayant. Il unit à la gaieté, à la jovialité, à la satire espagnole du bon temps de Cervantès, un esprit beaucoup plus moderne, ou du moins qui a été beaucoup plus cherché dans les temps modernes, l’amour de l’insaisissable, le sentiment des contrastes violents, des épouvantements de la nature et des physionomies humaines étrangement animalisées par les circonstances. »

Baudelaire, Curiosités esthétiques

  • Tiepolo, Canaletto, Guardi : L’Italie en majesté

Dans la deuxième salle est présenté un bel ensemble d’œuvres de peintres italiens qui ont très souvent travaillé en Espagne, sous les auspices de la famille royale, comme les Tiepolo et Antonio Joli.

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On se plaît à apprécier les différences entre les œuvres italiennes et celles peintes par des Italiens en Espagne. Aux belles vedute de Canaletto (1697-1768) et aux capriccios vénitiens de Guardi (1712-1793), font écho deux admirables vues de Madrid par Antonio Joli (1700-1777), provenant de la collection de la maison d’Albe.

Cette salle présente également des œuvres graphiques de la famille Tiepolo, qui s’installe à Madrid en 1762 où Giambattista (1696-1770), le père, a été appelé par le roi Charles III d’Espagne pour réaliser au palais royal la fresque de l’Apothéose de l’Espagne. A la finesse des dessins de Giambattista et Giandomenico (1727-1804), exécutés eux aussi en Espagne, répondent les couleurs vibrantes des compositions de Lorenzo (1736-1776). Dans ces deux pastels, il se plaît à représenter des figures populaires madrilènes, vendeuses d’oranges ou de légumes et autres majos. Ces œuvres sont celles d’artistes qui se sont distingués dans l’histoire de l’Espagne et dans le goût des Espagnols et elles montrent aussi quels types d’échanges culturels et d’influences existaient entre l’Italie et l’Espagne.

 

  • Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Gauguin : l’Aube de l’art Moderne

Cette section s’ouvre sur un Vase avec œillets de Van Gogh (1853-1890), appartenant au tout dernier corpus de l’artiste. La force de ce tableau tient à sa composition décentrée, presque déséquilibrée, et à l’empâtement prononcé de la touche. Van Gogh arrive ainsi donner une sensation de vie palpable à ce qu’il devient difficile d’appeler une nature morte.

Le paysage évocateur Femmes au bord de la rivière, peint par Gauguin (1848-1903) en 1892, lors de son premier voyage en Polynésie, semble lui aussi palpiter. La nature dépeinte ici est luxuriante, mystérieuse, aussi énigmatique que la femme au centre de la toile, être tout à la fois solaire et absent.

C’est une atmosphère aussi intime qu’émouvante qui se dégage de la surprenante Liseuse de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Cette représentation d’une jeune voisine de l’artiste est un exemple de la profondeur psychologique que Toulouse-Lautrec savait insuffler à ses portraits et témoigne de l’admiration tendre qu’il éprouvait envers son modèle. La jeune femme est saisie dans l’intimité de son intérieur, cadrée à mi-corps, simplement vêtue de blanc, les cheveux dénoués. Par son attitude concentrée et pensive, elle semble ignorer le regard du peintre qui s’attache pourtant à saisir les mouvements de sa vie intérieure. La composition audacieuse et les touches vibrantes de tons complémentaires donnent une intensité rare à ce portrait.

La singularité de cet univers féminin est également à l’œuvre dans la silhouette féminine esquissée à l’aquarelle et au lapis par Egon Schiele (1890-1918). Cette Femme à la robe bleue de 1911 ne montre pas le trait net et précis qui caractérise les dessins érotiques et les autoportraits de Schiele. Il s’agit davantage ici pour le peintre de « dessiner dans la couleur » de façon rapide et expressive.


Sous la robe bleue, un souvenir d’Egon

On se souvient du Schiele des autoportraits, de ces silhouettes dépouillées, aux corps exposés et torturés où semblaient se lire l’intériorité angoissée du moi.

Egon Schiele, ou le peintre d’un corps simultanément mis à nu et mis à mort, exhibé dans des positions moins conventionnelles les unes que les autres, aux traits déformés et grimaçants, créant une distance avec le spectateur et causant gêne et tension.
 Pourtant, sous sa robe bleue, le corps de cette femme n’est pas croqué, on ne discerne qu’à peine les traits de ce « coup de crayon » si caractéristique d’Egon.  Ici, s’illustre la recherche d’un expressionnisme de la couleur. Et cette robe bleue ne semble contenir et dissimuler qu’à grand peine ce corps fuyant, presque liquide de la silhouette féminine. Mais il dessine toujours dans la couleur. Les mains, toujours si primordiales chez Schiele, sont rachitiques et, malgré la douceur presque translucide de sa palette, on les retrouve cernées ou croquées par le trait de son crayon, ce filet fragile où la couleur liquide, en décomposition, en fuite, semble prête à disparaître. Le corps suinte et par le travail de ses teintes se pare d’une dimension presque séminale. Il se déploie sous ce manteau comme une tâche de couleur. Pourtant,  de ces coloris sécrétés sur le papier vierge au fond sobre et nu, un espace se détache : les yeux. Le regard, pareil à l’arrière plan de l’oeuvre reste vierge, vide, creux, étrangement sec, à jamais dérobé.


  • Picasso, Gris : une modernité espagnole

Attachée à ses racines, Alicia Koplowitz s’est toujours montrée très sensible aux œuvres des artistes espagnols, qu’il s’agisse de maîtres anciens, comme Zurbaràn ou Goya, ou des plus grands noms de l’art moderne et contemporain.

Picasso (1881-1973) ne pouvait tenir qu’une place à part dans cet ensemble exceptionnel et trois de ses œuvres sont présentées dans l’exposition. Dans le Demi-nu à la cruche de 1906, peint à Gosol, dans la campagne catalane, Picasso utilise les tons roses et ocres caractéristiques de sa période rose, mais le tableau porte déjà en germe des éléments nouveaux, qui témoignent de l’inventivité sans cesse renouvelée du jeune artiste. Perdue dans ses pensées, la monumentale figure de Tête et main de femme, datée de 1921, a été peinte pendant la période néo classique de l’artiste : il accorde davantage d’importance aux lignes et modèle ses volumes pour créer un portrait dont se dégage une impression d’équilibre et de grande intériorité, à l’opposé de son travail pendant sa période cubiste.


Trouver Picasso où son visage s’efface

De l’oeuvre de Picasso je ne retiens généralement que la pensée. Ses mains, comme liées à son cerveau, semblent s’imposer à moi , me saisir, me prendre de force. « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense » écrivait-t-il. Les oeuvres de Picasso ont souvent le don de m’irriter. Cela me fatigue de le voir partout, de retrouver sa pensée épinglée et affichée en grandes lettres sur chacun de ses tableaux. Mais ce demi-nu à la cruche me le montre sous un jour différent. Il montre le Picasso qui pense à partir de ses failles et de ses limites, ce Picasso qui, oeuvre faisant, aurait pu affirmer : « Si l’on sait exactement ce qu’on va faire, à quoi bon le faire ».  On voit dans ce tableau le moment où la bavure sert à la recherche. La silhouette est elle de dos, de profil ou les deux simultanément ?  Picasso s’efface et prend sens au moment où le visage se réduit à un masque ; au moment où le portrait qui se dérobait à nous au premier abord, dévoile, quelque pas plus loin une nouvelle face sous le masque premier qui était de dos.


  • Van Dongen, Modigliani, de Staël… Peindre à Paris

Peinte en 1906, la Femme au grand chapeau de van Dongen allie un coloris fauve à un trait précis. Le modèle, dont la nudité est rendue plus provocante par le rouge des lèvres et les accessoires, pose un regard indifférent sur le spectateur. Se détachant sur un fond rouge sombre, il incarne autant une femme fatale qu’une idole hautaine.


La femme, le fauve et le serpent de Kees Van Dongen

Est-ce le jeu des couleurs qui métamorphose la femme en serpent ? Par quel coup de pinceau magique, Kees Van Dongen parvient-il animaliser le portrait et à nous imposer sa beauté avec autant de force et de portée qu’une idole païenne. Cette métamorphose, ce travestissement, cet excès qui se retrouve sur les portraits de Van Dongen prennent leur source dans une certaine conception de la femme et de la beauté. Il racontait que  :

« Devant les filles nues aux châles violents, les critiques ont craché de l’encre. Or ce n’était pas tellement par amour de la couleur stridente que j’opposais les rouges aux verts ; (…) j’allais dans des bistrots ramasser les filles qui, pour un café crème, acceptaient de poser quelques heures. Et ces braves gosses portaient en maquillages hurlants l’enseigne de leur métier sur leur visage. C’est ainsi que naît une réputation, et que l’on devient fauve.« 

Au delà du jeu des couleurs criardes, la boucle du sac, le bracelet, le chapeau où trône un oiseau mort et l’ensemble de la composition insiste sur les formes et mouvements circulaires et serpentins. De ce portrait qui souligne la puissance charnelle et animale de la femme, se dégage une puissance sexuelle et pourtant  icônique. Ainsi faisant, Kees Van Dongen rejoint l’imaginaire de la femme louée par Baudelaire :

« La femme est bien dans son droit, et même accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts, les moyens de s’élever au dessus de la nature pour mieux subjuguer les coeurs et frapper les esprits […]   Quant au noir artificiel qui cerne l’oeil et au rouge qui marque la partie supérieure de la joue, bien que l’usage en soit tiré du même principe, du besoin de surpasser la nature, le résultat est fait pour satisfaire à un besoin opposé. Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive ; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’oeil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ; le rouge qui enflamme la pommette, augmente encore la clarté de la prunelle et ajoute à un beau visage la passion mystérieuse de la prêtresse. »


Le regard de la Rousse au pendentif (1918) de Modigliani nous interpelle tout autant, mais c’est une grande mélancolie qui s’en dégage, accentuée par la douce langueur de la pose du modèle. Cette femme, dont la chevelure éclatante se détache sur un fond déclinant des gris vibrants, n’en est que plus mystérieuse et séduisante.

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S’il a lui aussi pratiqué l’art du portrait, Nicolas de Staël a délaissé la peinture figurative dès 1942, au profit d’une libre expression des valeurs chromatiques et des formes, géométriques et cernées de noir. Mais c’est surtout du travail de la matière, par la superposition des couleurs et les empâtements, que les Compositions qu’il peint à la fin des années 1940 tirent leur force expressive.

 

 

 

  • Gonzalez, Rothko, Tàpies, de Kooning… Dialogues des arts

« Tout peinture qui ne témoigne pas du souffle de la vie ne m’intéresse pas »

Rothko

Importance d’un travail de la matière. Dans la veine figurative, les artistes poursuivent une même quête de la beauté idéale qui s’exprime par des procédés variés. C’est par des empâtements appuyés qu’Antonio Lòpez Garcià (1936) restitue les traits de sa femme Mari, dans un portrait rappelant ceux de la Renaissance. Recherchant lui aussi la pureté des lignes, Julio Gonzàlez (1876-1942) donne quant à lui à son Buste féminin en bronze un modelé lisse et doux, qui évoque la statuaire grecque.

Mais les recherches formelles de Gonzàlez trouvent leur pleine expression dans ses sculptures en fer, matériau qui lui offre de nouvelles possibilités techniques et stylistiques. Il s’inscrit dans la lignée de la sculpture cubiste, dont il donne une interprétation très personnelle : Daphné, fer unique et monumental de 1937, en est un exemple emblématique. Pour évoquer la métamorphose de la nymphe en laurier pour échapper à l’étreinte d’Apollon, il procède à une réduction radicale du réel à ses éléments essentiels.

Dès le milieu des années 1950, Antoni Tàpiès (1923-2012) entame des recherches artistiques sur la matière. Il mélange les matériaux traditionnels de la peinture à l’huile avec du sable, de la terre ou de la poudre de marbre. Sur ses toiles marquées par des griffures et des lacérations, la matière est à l’œuvre, la matière devient l’œuvre, comme le montre le tableau Parallèles (1962).

Si l’expressivité des toiles de Tàpies tient à leur vocabulaire plastique traduisant la violence, c’est par le travail de la couleur que les expressionnistes abstraits américains donnent à leurs œuvres toute leur force. Là encore, les techniques et les langages varient : Willem de Kooning (1904-1997) pratique l’Action Painting pour créer un réseau de lignes complexes sur son tableau Sans titre IV, tandis que Mark Rothko (1903-1970) travaille par des aplats de couleurs vives, en Colored Painting. Sur son No 6 (Jaune, blanc, bleu par-dessus jaune sur gris), les surfaces s’interpénètrent et donnent une dimension contemplative à l’œuvre.

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« Il n’y a rien de certain au sujet de l’art sinon que c’est un mot (…) l’art en soi c’est la partie éternellement muette dont on peut parler éternellement »

Willem de Kooning

  • Giacometti, Freud, Bourgeois, Barceló… Dialogues des arts

La dernière salle de l’exposition donne elle aussi à voir le geste de l’artiste, dans la variété de ses recherches sur la matière et sur la figure. A la douceur du modelé de la Feuille de Germaine Richier (1902-1959) répondent ainsi les arêtes de la longiligne Femme de Venise I que réalise Alberto Giacometti (1901-1966) pour le pavillon de la France lors de la Biennale de Venise en 1956. Forte et fragile, archaïque et moderne, cette sculpture en bronze s’impose par la force de sa présence énigmatique.


Les ombres derrière la feuille de Richier

J’aurais pu passer à côté, me précipiter vers la statue de Giacometti qui trônait au fond de la salle comme un totem et ne pas voir cette silhouette frêle et chancellante qui lui faisait face. Les murs du musée étaient blancs et vierges, comme une immense feuille de papier. Qu’écrire sur cette page ? Si Giacometti multiplie les aphorismes, s’il invite à la philosophie, Germaine Richier est une poètesse. Sur le mur blanc, des ombres dansaient. Des ombres qui mettaient en lumière l’oeuvre d’une manière des plus innattendues, qui soulignaient ses déséquilibres, ses fragilités ; des ombres qui la faisaient danser.

« J’aime le tendu, le nerveux, le sec, les oliviers desséchés par le vent, les bois cassants… Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleur. » écrivait Richier. Il est étonnant de constater en effet que la feuille de Germaine Richier est non seulement frêle, désséchée (par la matière agglomérée, la posture déséquilibrée, la silhouette élancée et chancellante…) mais que c’est justement autour de ce noyau de fragilité que l’artiste travaille. Et les ombres de la statue, comme le vent  dans des feuilles mortes, semblent faire entendre comme un dernier soupir. Elles appartiennent à l’oeuvre sans lui a appartenir. Et dès lors, cette dernière compte par ses failles, par ses trous et ses points de fuite qui lui donnent vie, faisant de la matière une « forme organique ouverte », de l’oeuvre un prisme ouvert vers le monde qui l’entoure.

« Quand je trouve une forme, je la détruis, mais pour détruire une forme, il faut qu’elle existe (… )Les trous éclairent la matière qui devient une forme organique, ouverte. »


Enigmatique, la Fille au manteau de fourrure de Lucian Freud (1922-2011) l’est tout autant. Peint avec des tons gris, blancs, jaunes et rosés, ce portrait témoigne de la violence exercée par le regard du peintre, et par conséquent du spectateur, sur son modèle. L’artiste scrute avec une acuité particulière cette femme qui détourne son regard et dont on ne sait si elle est indifférente ou dédaigneuse. La texture épaisse, caractéristique de l’artiste, restitue les reliefs du visage, comme si la matière prenait chair sous le pinceau. Lucien Freud écrivait que son oeuvre proposait une intensification de la réalité  qui aurait pour but d’émouvoir et de mettre les sens à l’épreuve.

Tout comme les œuvres de Lucian Freud, celles de Louise Bourgeois (1911-2010) peuvent inspirer un certain malaise. A partir des années 1990, elle met en scène une figure à l’ambivalence assumée, qui va parcourir toute son œuvre : l’Araignée (Spider III, 1998). Pour l’artiste, c’est une image rassurante qui lui rappelle sa mère dont elle était très proche, mais elle n’ignore pas qu’elle peut créer chez le spectateur un sentiment d’inquiétude. Il s’agit pour Bourgeois de rejouer les peurs enfantines et de s’en déjouer, pour transformer l’angoisse en plaisir esthétique.

« Si vous ne pouvez pas vous résoudre à abandonner le passé, alors vous devez le recréer. c’est ce que j’ai toujours fait »

Louis Bourgeois

Le final de l’exposition est consacré à deux toiles monumentales de l’artiste Miquel Barcelò(1957), l’une des figures majeures de l’art contemporain espagnol. Influencé par les impressionnistes abstraits américains comme de Kooning, son œuvre est aussi profondément marquée par sa découverte de l’Afrique en 1988. Barcelò y retourne en 1990-1991, au cours d’un long voyage en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Mali… Fort de cette expérience, il peint les toiles Lac jaune (1990) et Kula Be Ba Kan (1991), sur lesquelles il donne libre cours à un travail passionné de la matière qui l’emporte sur le sujet représenté.


Barcelò, Poussière d’eau, crépi de lumière

Je n’ai pas envie de faire de commentaire pour le moment. Ces oeuvres ou un coup de coeur dans l’exposition. Un artiste dont on ne voudrait parler qu’après en avoir découvert davantage.  Une piste dont il faut que je me souvienne de la suivre prochainement. En attendant, voici quelques mots de l’artiste, pour m’aider à orienter les sensations que ces oeuvres m’ont laissées.

«Je ne vais pas faire de l’art abstrait avec triangles et carrés, voyons. Je ne vais pas faire non plus de la sociologie ou des petites blagues sur le devenir de l’art occidental. (…)Ah non Ça n’arrive pas à m’intéresser. Dès que j’ai compris, ça m’ennuie et je comprends vite. Loin des troupeaux, je fais de la peinture.»

 
« Quand les termites auront dévoré les musées. Quand mes oeuvres seront réduites en poussière. Si quelque fragment doit survivre, être retrouvé, qu’il soit, j’en prie les cieux, une papaye ouverte ou la rondeur d’un ventre et surtout qu’ils gardent un peu de la chaleur (après si longtemps) de ce feu qui me brûle. »
Miquel Barcelo in Carnets de Ségou, 1994.

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